18/05/2010

Aston "Politique de l'art plastique ou plastique de l'art politique"

« Je suis un sauvage et malgré ma douche quotidienne aux enzymes, dans le métro, mon odeur assomme les illuminés. Je suis un sauvage et ils ont réussi à me faire chanter " je suis fier d’être bourguignon", ils sont futés tout de même. Écoutez ! Ce n’est pas parce que je prends un petit whisky que je suis imposable ». Ce texte signé Alfred Sanvi Panou, et mis en musique par l’Art Ensemble of Chicago à la grande époque du label Saravah, m’a littéralement retourné la première fois que j’ai pu l’entendre sur un 45 tours. Certaines œuvres vous suivent tout le temps, et se réveillent quand la situation s’y prête.
Aston est un plasticien béninois. Il travaille sur le toit de son atelier qui donne sur la terrasse de Cadjehoun, à Cotonou, un maquis populaire proche d’un quartier résidentiel pour les expatriés. La première fois qu’il m’a montré sa « Conférence de la merde », la petite musique de Panou s’est ranimée, je lui ai chanté, il m’a parlé de son travail. (vous aurez compris que c'est son vélo qui vous accueille sur le blog)


« Mon travail consiste à récupérer toute sorte de matériel, plastique, fer, bois, aluminium, cuivre…Pourquoi je récupère ces choses-là ? Ces choses, je vois qu’elles ont une forme, elles ont une nature, un esprit. Même les matériaux ont un esprit. Ils ont aussi une utilité, on n’a pas fabriqué ces matériaux pour rien. Tu sais, ces structures vivent. Comme un homme. L’homme vit, il a un esprit, il a une forme…Je vois que ces choses sont en train de mourir, quand on les enterre, quand on les brûle, quand on les jette dans le fleuve, ça peut tuer les poissons. À part les poissons, il y a beaucoup de choses qui vivent dans la mer et qui ne sont pas d’accord avec les plaquettes électroniques et autres. Ces choses sont en train de mourir et en train de tuer, parce que ça tue les poissons et si on mange les poissons ça nous tue. Elles sont en train de mourir et puis ça tue en retour. Moi je leur redonne vie. Je parle avec eux, je les fais parler. Comment je parle avec eux ? Disons, que j’arrive à m’entendre avec eux pour créer une histoire. Comment je les fais parler ? Par exemple, vous voyez une sculpture, (il montre des objets) on voit que c’est un canard, que ça c’est un musicien…


Il y a beaucoup de matériaux qui m’inspirent déjà. Il y a des matériaux qui ont déjà la forme, tu ne fais que continuer, parfois cela me prend plus de temps. Je pars à partir de la forme qui existe déjà. C’est le matériau qui me parle, on se parle. Qu’est-ce que je peux faire avec ça ? Le matériel me dit et moi je le suis. Il a un esprit, une forme, une nature. C’est une pièce de voiture, de vélo, de téléphone…Par exemple sur mes tableaux, s’il y a une pièce de téléphone, cela veut dire le téléphone, même si c’est la plus petite pièce du téléphone…

Et concernant la peinture ?

La peinture c’est toujours pour mettre un éclat. Ce n’est que de la peinture récupérée. Je ne travaille qu’avec des choses récupérées. Parfois je demande aux gens des clous, des pointes…Les gens disent que sans l’argent on ne peut rien faire, ce n’est pas vrai, sans argent on peut faire beaucoup de choses. Mais j’ai fait tous ces trucs-là (les murs de l’atelier sont recouverts intégralement) sans argent.



Je vais quelque part, je dis « monsieur, vous n’avez pas quelques pointes à me donner ? ». Je fais le tour, il y a des gens qui se moquent de moi. Mais bon, moi, comment je suis arrivé là ? Je voulais faire quelque chose, mais je n’avais pas les moyens. Qu’est-ce qu’on peut faire si on n’a pas les moyens ? Rien acheter. Sinon, je suis aussi musicien, mais les gens ne veulent pas travailler, ils veulent gagner de l’argent. Dans tous les domaines. Ici, les gens disent qu’ils ne veulent pas le travail, ils veulent de l’argent. C’est pas possible. Tu vois Angélique Kidjo, elle a travaillé avec les plus grands musiciens, Santana est sur son dernier album. Elle est allé à Paris, elle a fait l’école de jazz, elle est allé à New York, elle a fait l’école de jazz. Mais les gens disent que c’est la chance, ce n’est pas vrai, elle a travaillé. Moi, je joue de la basse, du piano et des percus, beaucoup de percus…Mais ce n'est pas l’heure de la musique. Il y a une heure pour la musique…Le problème ici c’est que l’on ne veut pas travailler ensemble, on ne veut rien faire ensemble.

Je lui parle d’une de ses œuvres, posée sur une platine vinyle…

C’est la famille à table. Parce que j’écris aussi une histoire autour du matériel. Par exemple ce truc, ça n’existe plus, ça n’existera plus jamais (il me montre le tourne disque). Ici on ne fabrique plus les pièces pour ça. Ce genre de clignotant, peut-être que ça n’existe plus. Par exemple, j’ai d’autres matériaux ici (il déballe des objets d’un immense carton).


J’ai un « Tour de France » au musée des Arts Derniers à Paris. Tu vois ces casques, ça n’existe plus, c’était les casques Air France. J’ai ramassé des milliers de casques et j’ai fait des milliers de personnages comme ça. Si je ne les garde pas, il n’y en aura plus de ce genre de casques avec deux fiches, c’est comme de l’architecture. Donc je disais, je crée aussi une histoire autour du matériel. Ça c’est une broche moderne, ça une vieille, ça créé une histoire autour.



Ça par exemple, cela s’appelle « La conférence de la merde ». C’est le dessus et le dessous d’un W.C. Je veux dire à travers cette œuvre qu’il y a toujours des conférences mais jamais de solutions. Les gens se retrouvent pour boire des liqueurs. Ça c’est un tuyau pour sécuriser, les gens se retrouvent, ils sont en sécurité. Ils viennent boire et il y a la sécurité autour. Il n’y a pas de W.C, les W.C sont sous la table.



Ça, c’est pour se brosser les dents, puisqu’ils viennent seulement pour se goinfrer et se brosser les dents. Il y a toujours des conférences, des colloques, des réunions, des trucs… Il n’y a jamais de solutions. Ils parlent, ils boivent, ils se regardent, ils bouffent, ils se brossent les dents et ils chient. C’est tout. C’est la conférence de la merde. Au milieu, c’est la terre, ils s’amusent avec.



Celui-là, j’appelle ça « Trafic d’enfants ». Ici, il y a deux broches. Je n’aime pas qu’on lise sur mes tableaux, il faut chercher. « Brautche » en allemand c’est occasion. Je veux dire que le travail des enfants ne doit pas être un business. C’est un business que l’on doit casser, c’est pour ça que le cadenas est cassé. Ici voilà l’enfant.



Il y a une ampoule ici, si tu as remarqué, elle est enlevée. L’ampoule c’est la lumière, la lumière de demain est devenu un mal. J’ai vu dans les pays sahéliens, comme le Niger, des enfants qui ont une assiette et une gourde pour vivre. Là tu vois, c’est un bout de frein, c’est un système que l’on doit freiner. Là, c’est un tuyau d’arrivée d’essence d’une mobylette, qui va jusqu’au carburateur, il est débranché, parce qu’il faut débrancher ce système.



Là tu vois un cadre, mais l’enfant n’est pas dedans, les enfants ont besoin d’un cadre pour bien évoluer. Un peu plus haut, c’est le soleil, parce que les enfants sont le soleil de demain.

J’appelle ça « La loterie ». Ça ruine les pauvres, ils pensent qu’ils peuvent gagner une fortune, ils mettent tous leurs derniers sous dedans. Il y a un tuyau qui déverse, mais il ne déverse rien, l’argent des pauvres ne fait que fuir par le tuyau.




Celui-là c’est « Société de l’information ». Les belles informations sont les mauvaises informations. Tu vois des éléments de téléphones, de télés, de radios. Ça sert à tuer les gens comme dans des pays comme le Rwanda, ou d’autres pays en guerre. Ils donnent en permanence de fausses informations. Même en Irak. L’information sert à tromper le monde.




Alfred Panou & l'Art Ensemble of Chicago "Je Suis un Sauvage" (1970-75) (saravah) by jimmmy
Propos recueillis par James Stewart pour ArtistikAfrica (Cotonou, Bénin) . (copyrights photos J.S)

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