10/02/2010

Entretien avec Danialou Sagbohan, Porto-Novo dans son jardin novembre 2007


Comment avez-vous vécu, en tant que musicien, les années 60-70, une période riche d’un point de vue du renouvellement culturel et politique ?

Ah, çà c’est une bonne question puisqu’à l’époque des années 60 il n’y avait même pas une école de musique ici, pas une école de formation. Donc chacun s’inspirait de ce qu’il a connu, de cette musique de la diaspora, ce retour de la diaspora. D’abord, moi j’ai appris la musique ici. Il y avait une radio internationale que l’on captait ici, c’était Radio Brazzaville. À partir de 16h quand on balançait Radio Brazzaville sur Radio Dahomey vous aviez la chance d’écouter cette musique française, espagnole. On écoutait les Tino Rossi, les Compagnons de la chanson, Charles Aznavour, c’était la musique que l’on écoutait ici. Et, au même moment, on écoutait le Highlife ghanéen, y avait pas le Highlife nigérian, y avait le Highlife ghanéen et il y avait la musique congolaise. Cette musique congolaise inspirée de la Rumba espagnole. Parfois les gens me disent que la Rumba est congolaise, bon, je dis non. D’abord le mot Rumba c’est espagnol, je prends la Rumba espagnole avec des groupes comme Sexteto Habanero (il semble donc dire espagnol pour cubain), Los Haidjados (? ), Collection des Ojo, bon bref, c’est cette musique que moi j’appelle la Rumba. On écoutait tout ça aussi à la fois, surtout quand nos parents étaient revenus de la deuxième guerre mondiale. Ils nous étaient arrivés avec cet appareil gramophone, avec ces disques vinyles cassables, en porcelaine…(rires). Bref, moi à l’époque je faisais déjà la musique traditionnelle avec mon père dans mon village.

Oui, j’allais dire, c’est quoi votre histoire avec la musique ?

Et bien justement, je jouais avec mon papa depuis le village et à la radio on écoutait tout ça. Quand je suis arrivé à Cotonou je faisais déjà partie d’un groupe moderne de mon village. Un groupe où il n’y avait même pas la guitare. Il y avait la pércu, la voix et puis les castagnettes. Et quand je suis arrivé à Cotonou j’ai cherché à intégrer un groupe. J’ai intégré un groupe qui faisait cette musique moderne-là, en dehors de la musique traditionnelle que je faisais avec mon père. J’ai connu cette musique moderne où il y avait la guitare, il n’y avait pas encore la batterie, la guitare, la conga, bref on copiait un peu la musique congolaise. Donc moi, ça m’a aussi inspiré et la maison où je suis né est une maison qui fait face à l’église protestante donc j’écoutais tous les matins et tous les soirs cette mélodie grégorienne. Donc cela a fait que j’ai vite connu la musique moderne. Donc quand je suis arrivé à Cotonou, j’ai cherché à intégrer un groupe, et voilà, jusqu’à maintenant je suis dedans.


Cela m’intéresserait de savoir le rapport que vous avez, en tant que musicien avec ces musiques comme le Jazz et les musiques noires-américaines. Sont-ce des musiques qui ont nourri votre activité de créateur et si oui dans quelle mesure ?

Quand j’ai commencé par écouter, justement le Jazz…Le Jazz de qui, j’écoutais Louis Armstrong, j’écoutais un peu Miles Davis. J’ai écouté James Brown, j’ai écouté Otis Redding, Wilson Pickett…Bon, on parle du Jazz, eux ils étaient déjà dans la Soul music. Donc, quand je prends une chanson traditionnelle que je faisais avec mon père, je retrouve les mêmes notes, parfois. J’ai fait une chanson (il chante le refrain en Fon) et quand j’ai pris la guitare que j’ai fini par (paroles en Fon puis scat), ça c’est (de nouveau scat sur le refrain), je me suis rendu compte que, c’est des notes modernes que l’on peut jouer sur une guitare moderne. Donc, il y a beaucoup de chansons de mon village, du Bénin qui ont la même ligne d’accords que beaucoup de morceaux jazz. Enfin, qu’on peut facilement…Quelqu’un qui connaît le Jazz, quelqu’un qui connaît la musique moderne peut facilement retrouver, s’il est conscient. Donc je me suis dit : « Nos parents ont travaillé sans instruments des mélodies, mais avec une mélodie »…Comment ils se sont retrouvés dans ce secteur, je ne sais pas. Donc je me suis dit, on va déjà commencer par puiser dedans. Moi, j’ai écrit mes chansons, traditionnellement et il ne m’est jamais difficile de les moderniser. Avec un instrument, la guitare que j’ai connue, je me retrouve facilement.

Un des auteurs sur lequel je travaille beaucoup est un sociologue anglo-jamaïcain, Paul Gilroy. Il est quelqu'un qui envisage l’Atlantique comme le medium principal entre l’Afrique et ses diasporas. Et c’est quelqu'un qui propose d’appréhender les textes des musiciens noirs comme un matériau historique et philosophique. Il se trouve que la période des années 60-70 correspond à un moment, pour les Noirs-Américains comme pour de nombreux Africains, où les musiciens prennent la parole pour produire un discours critique, d’un point de vue politique, sur l’état du monde, de la société. Comment envisagez-vous cette question, avez-vous vous-même produit ce genre de discours et était-ce possible dans un pays comme le Bénin étant dans une position de musicien ?

Justement, il y avait d’abord une première époque où l’artiste, ou le chanteur, avait toute possibilité d’expression pourvue que la musique qui accompagne, son message, soit une musique acceptée. Donc, à l’époque nous nous sommes servis de la mélodie pour dire des choses au chef du village, au président de la République. Et dans les années 72, quand le gouvernement révolutionnaire s’est installé ici, il a obligé tout le monde à chanter en sa faveur, mais nous autres, parfois, on chantait, on envoyait des messages en paraboles mais avec une bonne musique. Moi je chantais à l’époque « Aloué » ( ? ) (il interpelle son ami assis avec nous), tu m’excuses, où je disais : « Ah, je dis aujourd’hui dans ce pays, il y a la loi de la jungle, les plus forts sont toujours les meilleurs ». Et à l’époque j’avais fait la banque commerciale du Bénin, j’étais un banquier, je fus un banquier. Moi, à l’époque, j’avais pas un diplôme commercial, les plus diplômés gagnaient plus que moi. Même les prêts, les prêts d’équipements qu’on accordait aux fonctionnaires, les plus grands avaient plus de prêts que nous autres. Moi je gagnais 19 500 Francs (CFA). Il y a des collègues, des petits à moi, qui gagnaient 45 000, 50 000 Francs CFA. À l’époque c’était beaucoup. J’ai chanté un morceau où j’ai dit : « Sauve qui peut, (il chante la chanson en Fon). Le singe est allé voler le maïs du paysan. L’alouette, le petit oiseau, aussi est arrivé pour voler le même maïs mais le singe l’a empêché de venir bouffer le maïs qui ne lui appartient pas. Et, l’alouette dit :
- Mais, tu as des enfants à nourrir, j’ai aussi des enfants à nourrir et tu viens voler un maïs qui ne t’appartient pas, celui d’autrui, et moi-même je viens, tu me chasses. Je vais te rapporter au paysan et tous nous retournerons ventre vide ou sac vide, à la maison. ».
Le paysan a été alerté, il a chassé le singe. C’est à peu prés ce qui se passait à l’époque où ceux qui faisaient partie du gouvernement avaient plus de moyens que ceux qui n’étaient pas de leur bord. Bref, donc la chanson nous a permis à l’époque, a permis à chacun de s’exprimer. Et ça s’est passé ici, ça s’est passé ailleurs et ça a continué puisque les chanteurs ont cette chance de dire ce qu’ils veulent. S’ils savent bien le dire. De faire des critiques. Et, (en criant) nous sommes suivis finalement, quand nous chantons, quand ils écoutent, je dis « ils » pour ces autorités, quand ils écoutent, ils se disent quelque part que c’est des gens plus écoutés par le peuple que nous, donc ils se rabattent sur nous. Donc, ça a servi cet aspect de la chose où les chanteurs pouvaient apporter quelque chose à leur peuple par la chanson. C’était une époque où…Je veux parler de, d’abord il y a eu Hugh Massekela (trompettiste de Jazz Sud-Africain, émigré aux Etats-Unis dans le courant des années 60) le Sud-Africain, il y avait Féla. Moi j’ai joué un peu avec Féla.

J’allais vous demander justement, concernant Féla…(il me coupe)

Ce monsieur, ce monsieur, il était, moi je l’adorai beaucoup. Quand j’allais au Nigeria, j’allais souvent chez lui. J’ai joué au Nigeria dans un club à Kakadou, c’était dans les années 69-70. Il était à Kakadou, et là-bas j’ai joué avec lui. J’étais dans un groupe, il nous a accepté, on joue de 21h à 23H, lui il prend de 00H jusqu’à l’aube. J’ai eu la chance de connaître ce monsieur, je dis Féla était un maître. Un maître. Féla était un maître. Je ne sais pas ce qu’il faut dire sur Féla. Mais seulement la seule chose qui l’a vite détruit c’est qu’il a trop attaqué le côté politique dans sa musique. Bon, c’est normal, Obasanjo était….Mais je dis, si Féla vivait encore nous musiciens Africains on airait encore un poids. Féla est parti, il nous a un peu handicapé. Moi je n’ai pas aimé son système de provocation, il provoquait beaucoup. Il ne faut pas provoquer, il faut critiquer sans provoquer et il provoquait beaucoup les autorités de son pays. Ici en Afrique c’est pas comme en Italie ou en France où on peut aller jusqu’à…En Angleterre il y a ceux qui détruisent les gens au stade, comment on les appelle…Les hooligans, tout ça. Mais ici ça ne peut pas avoir lieu. Nous sommes en Afrique où il y a une discipline, d’abord sociale, en dehors du gouvernement, il y a, comment on dit ça, il y a une discipline en bas-là. Il y a cette culture-là qu’i faut respecter. Féla provoquait beaucoup les dirigeants du Nigeria. Bon, par exemple dans l’avion, il va jouer en Italie, bon c’est ce que j’ai lu dans un journal, qu’à l’époque il éteignait les mégots par terre sur les tapis…Bon, moi je peux jamais faire ça. Quand bien même on est un grand musicien, il faut avoir un sens des responsabilités. Moi je peux pas me balader, par exemple en slip. Non, je peux pas. Je peux pas aller sur scène en slip, non, je peux pas. Si je le fais, je reviens dans mon village, les gens me traiteront de fou. Donc, Féla pour moi c’était un grand, grand créateur. D’abord je l’ai connu trompettiste. Et Féla aux claviers…Formidable. Et le jour où Féla est revenu au saxo, c’est son saxophoniste qui l’a emmerdé sur scène, c’était à Kakadou, le type a fait une connerie, Féla est allé le taper sur scène, l’autre lui a envoyé des mots et Féla lui a dit : « Ok, you go out, go back to Lagos… ». Il a commencé à apprendre le saxo à partir de ce jour. Il a réussi à être saxophoniste. Ça c’était un maître. Féla était un maître. En dehors des provocations pour moi, Féla était un maître. Et toujours, il est resté un maître parce que quand j’écoute Féla je me dis, voilà. Quand on parle de révolutionnarisation de la musique africaine je veux appeler le nom de Féla. Féla ne faisait pas des phrasés jazz écrits dans les livres d’exercices de musique. Non. Féla créait des notes, quand Féla joue son saxo, son saxo parle Yoruba. (Il chante en scat une introduction de Féla, celle de « Water no get ennemy »). C’est des notes nigérianes. Il faut le reconnaître, moi je suis un musicien, je sais ce que je dis. Donc Féla était, pour moi, un maître.

Est-ce que les gens au Bénin, et dans l’Afrique francophone écoutait Féla et entendaient-ils son discours ?

Beaucoup. Bien sûr. Ses discours étaient toujours impeccables. Moi, j’ai aimé tous les messages de Féla. Quand je parle des provocations, c’est en dehors de sa musique. Bon, passer dans un sens interdit avec tout son groupe et le policier qui était au carrefour ils l’ont tapé, ils ont brûlé sa moto, il n’a pas chanté ça. C’est là qu’on a brûlé son film, qu’on a tapé sa maman, c’était la cause. (Il répète la scène) Le chef de la police est arrivé, il a dit : « Bon, Féla, encore toi, aujourd’hui, finish ». Il fallait pas provoquer les gendarmes. Mais en dehors de ça…Féla est venu ici jouer plusieurs fois. Féla vient à Porto-Novo pour jouer. Le concert était pour 22h, à 23h Féla était encore à l’hôtel, le stade était plein. C’était Stade Charles De Gaulle ici, c’était plein. Féla était encore à l’hôtel et le promoteur est allé le voir, Féla était avec ses femmes encore, dans le lit, à 23h, 00h. (rires) C’est des choses qu’il faut pas faire. Bon sinon Féla est venu ici jouer plusieurs fois et dans toutes l’Afrique Féla est aimé. Féla est adoré. Avec ses conneries, mais on l’aimait (rires). Non mais c’était un Africain spécial. Féla était spécial. Il était écouté dans le coin, accepté aussi.

Aujourd’hui il y a d’autres musiques qui portent un discours contestataire, et notamment comme j’ai pu le remarquer, beaucoup de rap. Ici mais aussi ailleurs en Afrique comme au Sénégal, au Burkina. Quel est votre rapport à cette musique qui émerge et est-ce que cela vous intéresse ?

Je trouve ça dommage. Je déplore cette situation parce qu’il semble que notre culture est en train d’être détruite, complètement. Parce que le Rap c’est quoi ? On dit, c’est une manière contestataire de s’exprimer. Bon, est-ce qu’il n’y a jamais de positif, est-ce qu’il y a que du négatif. Donc moi je dis, ça peut se passer, on peut s’exprimer, on peut contester dans notre musique. Moi j’ai des chansons quand même très critiques, mais dans ma musique, dans mon rythme, dans le rythme de chez moi. C’est tellement facile de rapper, tellement facile de rapper qu’ils ne veulent plus travailler les jeunes. Ils ne veulent plus apprendre à jouer d’un instrument. Le Rap c’est tellement facile, avec l’ordinateur, tous ils font du Rap aujourd’hui. Je dis c’est dommage. L’Africain-a-beau-rapper (il le dit en onomatopées), il ne le fera pas aussi bien qu’un petit Américain. Je ne sais pas si je me fais comprendre. D’abord, la tonalité vocale qu’ils utilisent pour rapper…Si vous parlez du Rap, c’est pas encore ça. Non, moi, ça ne me dit rien.

Depuis que je suis ici, je commence à faire un parallèle avec les Etats-Unis sur cette question. C’est-à-dire que, vers la fin des années 70, moment où le Rap émerge dans sa forme moderne, les conservateurs, Reagan en tête, ont rapidement coupé les subventions allouées aux ghettos noirs. Cela a eu comme premier effet direct de faire fermer les écoles de musiques dans ces mêmes quartiers et cela a donc, en partie, poussé les jeunes musiciens vers le Rap parce qu’il n’y avait pas d’autres moyens de faire de la musique. J’ai eu beaucoup de discussions avec de jeunes musiciens sur Cotonou et tous ont des problèmes d’argent, ce qui leur empêche de se payer des instruments, se payer des études de musiques et qui du coup sont poussés, pas de force mais presque, vers cette musique, pour des raisons économiques. Qu’est-ce que vous en pensez, et ne pensez-vous pas que cela pourrait être intéressant dans un pays comme le Bénin, et dans d’autres pays de l’Afrique de l’Ouest où la culture musicale est si riche, qu’il y est un effort qui soit fait d’un point de vue politique pour justement ouvrir des écoles de musiques et permettre aux musiciens de s’exprimer ?

Je peux leur trouver des raisons quand ils disent que pour des raisons financières ils sont obligés d’aller vers le Rap. Je dis non, on peut leur trouver des raisons, mais ils n’ont pas raison. Pourquoi ils sont pressés d’aller directement à un album ? Mais, écoutez, on a pas besoin ici de trop d’argent pour apprendre à jouer d’un instrument. Moi j’ai fait l’école de la rue. Et cette école qui existe encore aujourd’hui, en Afrique. Quand les Africains parlent de conservatoire…Il faut d’abord, pour nous autres Africains, musiciens africains, il faut d’abord un petit don. Il faut un petit don. Il faut pas se lever, parce qu’on peut plus continuer les études, et aller à la musique. Je dis non. Pour aller à la musique, il faut être sûr de ses facultés intellectuelles. Il faut être l’un des meilleurs avant d’aller vers la musique. C’est tout le problème. Il faut pas croire que c’est quand on a plus rien à faire qu’il faut aller vers la musique. C’est faux, la musique c’est le métier le plus fort au monde. Le plus difficile au monde. Ou, même ceux quoi vont à l’école de musique, ils vont apprendre des choses, mais s’ils n’avaient pas un don, si le petit ne peut pas marquer le temps depuis l’age de quatre ans (il tape dans les mains en scattant) c’est pas la peine qu’il aille vers la musique. Il ne faut pas aller à la musique pour aller apprendre le rythme, le temps. Pour un Africain, c’est une connerie. Quand les jeunes parlent de manque de moyens…Je veux dire que c’est un peu du « lazyness », c’est un peu de la paresse. On veut vite aller, on veut vite gagner sans travailler. Il faut travailler d’abord. Il faut avoir un temps pour apprendre la chose. Quand bien même on a un petit don, il faut savoir exploiter le don. Ils ne sont pas patients. Les jeunes aujourd’hui ne sont pas patients. Ils veulent commencer la musique et avec un seul album être Michael Jackson, tous. C’est dommage, je parle, je mesure mes mots, je suis un responsable de la musique béninoise, mais je dis que la paresse a gagné le marché. C’est la paresse (en criant). Moi, depuis le CM1, j’ai pris la décision, je me suis dit : « Je serai musicien international à partir de mon pays. Je serai respecté musicalement dans mon pays ». J’ai pris cette décision depuis que j’étais au CM1. Et tout mon parcours j’ai œuvré là-dessus. J’ai créé les conditions, je me suis formé, j’ai voulu le faire, je l’ai fait. Parce qu’à six ans déjà je jouais avec mes parents. La musique africaine c’est pas une musique de l’école. C’est pas une musique de l’école hein (en parlant fort). Et il faut le comprendre. Les grands musiciens Africains, même sur le plan mondial, les grands jazzmen, c’est des gens qui pour la plupart n’ont pas fait d’école de musique. On apprend pas la musique, la musique est naturelle. Il faut que ce soit inné d’abord (en hurlant), il faut avoir quelque chose naturellement avant d’arriver sur terre. Personne va vous orienter. Moi quand je faisais de la musique mes parents me tapaient. Mon père était un grand chanteur, un grand musicien. Mais quand, après mon certificat d’études primaires je me suis dit : « Bon, qu’est-ce que je vais faire ? », j’ai intégré un centre céramique, moi j’aimais créer. Comme là-bas on peut créer les statues, créer les modèles…Bon j’ai fait ce centre un ans, deux ans, tout en créant ma musique. Finalement j’ai pris une décision et j’ai appris la musique. J’ai beaucoup voyagé, je suis un percussionniste, naturellement. Mais finalement je m’accompagne à la guitare, j’écris ma musique et je suis devenu chanteur. Donc il y a une volonté avec le don. Il faut un don d’abord (en tapant sur son fauteuil). Ne fait pas la musique qui veut. C’est pas parce qu’il n’y a plus rien à faire qui faut aller à la musique. Ceux-là vont toujours incriminer les politiques, les bonnes volontés, et les sponsors en disant : « C’est parce qu’on a pas les moyens ». C’est faux. C’est du « lazyness ». Voilà mon point de vue par rapport à cette question. Mais il y a beaucoup de jeunes rappeurs au Bénin, quand ils commencent à rapper, vous sentez qu’ils ont quelque chose. Ceux-là je les condamne fort, je leur dis : « Mais pourquoi vous rentrez là, sortez de là, retrouvez-vous chez vous ici ». Je ne veux en nommer aucun mais il y a un groupe que j’adore, un groupe de Rap dont je ne vais pas donner le nom ici pour ne pas faire de jaloux, qui chante les chansons traditionnelles, de notre pays. Dans son rap, quand il fait son rap vous ne diriez pas que c’est un rap mais que c’est des jeunes musiciens qui font un truc acceptable. Mais je dis, au lieu de développer le Rap vous avez « hogon » ( ? ), qui est une musique ici, dans leur ville ce « hogon » (?) il faut le jouer intégralement, il faut pas le jouer en catalogue. On fait un catalogue et puis on complète avec le Rap. Non, il faut le jouer intégralement, il faut donner cette couleur-là. Une minute (il répond à son téléphone).

C’est mon garçon qui appelait, il vient de faire son album.

Donc je disais, le Rap c’est pas mal mais ça détruit notre jeunesse. Si tous les jeunes continuent de la sorte nous n’aurons plus de musique béninoise. Ça va finir. Au moins, heureusement aujourd’hui en Côte d’Ivoire les jeunes ont le Zouglou. Au Sénégal ils ont le M’Balax, en dehors du Rap. Tous les jeunes Béninois veulent faire du Rap. Il n’y aura plus le Kaka, le Tchink, il n’y aura plus rien, ça va disparaître. Moi, je lutte contre ça. Je ferai tout pour que certain comprennent quand même. Si aujourd’hui j’ai des jeunes musiciens qui sont resté avec moi, j’en ai un qui est parti en Allemagne. Mais il joue la musique béninoise là-bas, et c’est ça qu’il a à vendre (il parle de John acaduis). Il peut pas être en Allemagne et faire de la musique allemande, ou bien du Rap, il va rien vendre. Aujourd’hui il fait la musique authentiquement béninoise et il vend beaucoup là-bas. Il y en a aussi qui font du reggae. Le reggae africain. Bon, le reggae d’abord est africain, d’origine. Mais le reggae copié de la diaspora par nos ici…Moi, j’aurais souhaité qu’ils mettent une mélodie vocale africaine dedans, dans le beat reggae. (il scat). Moi je peux mettre une mélodie béninoise dedans. (il chante une mélodie reggae-africaine). J’ai tellement de choses à exploiter, le reggae, je vais le faire un jour. Mais pas de cette manière-là. (il chante). Tu vois cette mélodie, c’est déjà trop chanté. Mais dans la gamme pentatonique c’est pas encore chanté le reggae. C’est des choses qu’il faut exploiter. Il ne faut pas copier ceux qui ont déjà fait. Moi je condamne ça. Il y a des jeunes aujourd’hui qui veulent chanter exactement comme Lucky Dube (reggaeman Sud-Africain). Lucky Dube, paix à son âme (il a été assassiné récemment lors du vol de sa voiture semble-y-il) lui, il a pris un truc de Peter Tosh, il a pris le style de Peter Tosh, bon ainsi de suite. Mais c’est Peter Tosh qui a pris ce style-là. Le style de Jimmy Cliff diffère du style de Bob Marley et de celui de U Roy. Tout ça est sorti du Jazz. Je connais, enfin j’imagine un peu l’origine du reggae. Parce que quand Jimmy Cliff a sorti le reggae pour la première fois, enfin quand le reggae de Jimmy Cliff est arrivé en Afrique pour la première fois c’est à partir des années 60. « Many rivers to cross » et tout ça. Bon, c’est après ça qu’on a commencé à écouter les autres. Mais on sait d’où est-ce qu’il est sorti, d’où est-ce qu’il a fait sortir cette musique-là. C’est du Jazz. Pas du Jazz comme ça, je parle du Madison. Il y avait un rythme que l’on appelait Madison (il chante). Puis on dansait (il se lève et danse en chantant et claquant des doigts). C’était un genre de musique que l’on a connu quand on était gosse (en criant). Et c’est tout ça qui est devenu le reggae mais chacun a choisi son style. Moi j’ai appris la musique, je connais la musique, je connais des rythmes de chez moi, beaucoup de rythmes de chez moi. Je laisse tout ça parce que l’autre a marché là-bas ? Non, je ne me vendrai pas comme ça. Voilà. Donc je dis, le Rap, le R&B, tout ça c’est bon mais il faut encore, il faut sauvegarder notre culture.

Et la langue aussi peut-être. Je trouve que le Fon est une langue qui swingue beaucoup.

Aie,Aie,Aie. Quand tu écoutes, si vous écoutez les vraies chansons authentiques Fon ou Gon vous vous dites : « Bon, mais comment ils ont pu avoir ces mélodies-là sans connaître aucun instrument mélodique ». C’est là le côté magique de la chose. Moi quand mon père chantait et quand je l’écoutais je me disais : « Comment il a fait pour trouver ces mélodies ». Moi je sais jouer de la guitare, mais lui, comment il a pu ?

J’étais la semaine dernière au centre culturel français de Cotonou pour voir Gilles Louéké (musicien béninois de Jazz) en concert et j’ai trouvé que sa musique avait un fort accent béninois…(il me coupe)

Oui, et c’est ça qu’il exploite (en criant). Et c’est ça qui fait la force de Gilles aujourd’hui. Quand Gilles prend un morceau comme, il joue des morceaux à moi, comme « Gbeto vivi » (tube de Sagbohan enregistré avec Le Tout Puissant Orchestre Polyrythmo de Cotonou dans les années 80) (il chante « Gbeto vivi ») comme « Aloué ». Quand j’écoute Gilles, j’ai écouté Gilles plusieurs fois sur TV5. Quand j’écoute Gilles, je me dis : « Voilà, je suis fier de ce monsieur ». Il puise dans notre culture et il met sa connaissance et ça fait un produit fini. Mais c’est ça le travail qu’on veut que les jeunes fassent. Les enfants n’ont qu’à travailler, qu’ils apprennent d’abord à jouer d’un instrument. Un musicien ne se lève pas, commence à chanter et dit qu’il est musicien. C’est faux (en criant). Un musicien qui ne peut pas jouer d’un instrument n’est pas un musicien. Un chanteur qui peut pas, je parle des chanteurs modernes comme on dit aujourd’hui, il fait pas la guitare, il fait pas le piano, c’est-à-dire il ne joue pas d’un instrument, je peux pas le considérer. On en a connu dans ce pays. Des gens qui composent, mais quand ils composent, il y a quelque chose qui manque. Il faut pouvoir maîtriser les lignes d’accords. Il faut savoir ce que l’on dit. Nos parents ont travaillé mais ils avaient une inspiration impossible, c’est différent d’aujourd’hui. Donc, moi je dis, que les jeunes prennent leur temps. Si on veut être un musicien moderne aujourd’hui dans ce pays il faut apprendre à jouer. Il faut connaître un instrument mélodique. C’est l’essentiel. Gilles est une fierté pour moi. Quand j’écoute Gilles je me dis : « Voilà, c’est ça ».

Est-ce que pour finir je peux oser vous demander de me chanter un morceau ?

(jovial) Je vais chercher ma guitare…

Il chante deux magnifiques ballades en Fon…dont en voici un extrait

yo votomé by James Stewart !


5 commentaires:

  1. Merci pour ce superbe entretien. Lorsque je l'ai lu Sagbohan était vivant, à côté de moi. Sagbohan Danialou sera en concert en mai 2010 au festival de Jazz de la Nouvelle Orléans. Cela fait 20 ans qu'il n'a pas joué en dehors de l'Afrique...

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  2. super, génial, je vais essayer d'aller le voir d'ici la fin du mois pour qu'il me raconte tout ça....tu as écouté le morceau...?

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  3. Oro j'adore ton blog mec ! c'est vraiment de la boulette en barre !

    tu as un mail ? j'aimerai bien rentrer en contact avec toi.

    paix et robustesse

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